Université marocaine politisation et marchandisation


 L’Université marocaine :

De la politisation à la marchandisation

De la politisation à la marchandisation
De la politisation à la marchandisation

Les bouleversements spectaculaires des dernières années montrent à quel point le progrès scientifique a joué un rôle d’accélérateur dans les mutations sociétales. Ce sont, en effet, les pays où l’enseignement supérieur est le plus performant qui connaissent progrès, démocratie et justice sociale. Par contre, là où il est moins performant, il y a peu de progrès, peu de démocratie et peu de justice sociale. L’enseignement supérieur ne peut donc pas être considéré comme le simple sommet de la pyramide du système éducatif mais plutôt comme un pilier incontournable du développement humain. C’est, en effet, l’Université qui fournit les compétences indispensables au marché de l’emploi et qui produit le nouveau savoir nécessaire à la formation des médecins, des ingénieurs, des fonctionnaires, des entrepreneurs, … Ces cadres vont développer les capacités et les compétences leur permettant de prendre les décisions qui touchent toute la société. C’est surtout le développement de la capacité intellectuelle dont sont tributaires la production et l’utilisation du savoir, qui est spécifique à la formation universitaire liée à la recherche scientifique. En dépit de cette réalité, beaucoup de pays n’ont toujours pas trouvé les solutions appropriées aux problèmes de leur enseignement supérieur.
Qu’en est-il du Maroc ? Après un demi-siècle d’indépendance, le Maroc peine à décoller, n’arrive pas à dépasser l’interminable processus de démocratisation et creuse chaque jour davantage ses inégalités sociales! Quant à l’enseignement supérieur, seuls 419.000 jeunes ont pu s’y inscrire en 2009, soit 13% du groupe d’âge correspondant. La même année, l’Egypte a inscrit 28%, l’Algérie 31%, la Tunisie 34%, la Jordanie 41%, la France 55%, la Roumanie 67%, le Danemark 77%, les Etats-Unis 86% et la Finlande 91%.
Le nombre des diplômés est bien entendu plus faible dont une partie seulement trouvera un emploi. Cet échec, quantitatif et qualitatif, est en fait, le fruit d’une série d’improvisations influencées par les vicissitudes de la politique depuis 1956.
Au lendemain de l’indépendance, les Marocains réticents, sous le Protectorat à scolariser leurs enfants, vont se ruer sur le peu d’écoles existantes. Cette pression populaire rend la question de l’enseignement urgente. Dès 1957, une commission Royale se pencha sur le problème et adopta les quatre principes : marocanisation, arabisation, généralisation et unification de l’enseignement.
La marocanisation des cadres, incontournable au parachèvement de l’indépendance, se heurtait à l’absence d’enseignement supérieur moderne. Ce dernier est resté rattaché à l’Université de Bordeaux qui va continuer à délivrer les diplômes jusqu’à la création officielle de l’Université Mohamed V en 1959 par le gouvernement A. Ibrahim. La large autonomie accordée à cette première Université moderne va lui permettre de se réorganiser rapidement. Ainsi, elle transforme l’Institut des hautes études marocaines en Faculté des lettres et des sciences humaines, et crée l’Institut pédagogique de l’enseignement secondaire, devenu École normale supérieure (ENS); ainsi que la Faculté de médecine et l’École Mohammedia des Ingénieurs… Cette politique sera vite abandonnée après le renvoi du gouvernement A. Ibrahim. La formation des élites va peu à peu sortir de l’Université quand chaque département ministériel va former ses futurs cadres. Cette politique, trop coûteuse, qui va favoriser la formation d’une élite relativement faible numériquement, va retarder la marocanisation. Au bout de vingt ans, celle-ci n’était toujours pas au rendez-vous. Dans l’enseignement, il faut attendre 1968 pour la marocanisation du primaire et 1998 celle du supérieur!. Malgré cet échec, le gouvernement ne changera pas de cap et les années 70 vont même connaître une accélération dans la création d’établissements de formation des cadres y compris en pédagogie ! Ainsi, l’Université sera concurrencée dans les filières fondamentales, ce qui ne manquera pas de la fragiliser durablement.

La création d’une Université moderne pour parachever l’indépendance nationale 

L’arabisation, liée à l’identité nationale, ne débutera qu’au cours des années 80 et va se solder par un échec. En s’arrêtant au baccalauréat, elle conduira des générations d’élèves à atterrir, complètement désorientés, dans un enseignement supérieur demeuré en français. Dans cette incohérence linguistique, seule une minorité, grâce à une formation parallèle, arrive à surmonter les carences du système éducatif. Ainsi, l’enseignement va subir une double fracture spatiale et temporelle. La première a partagé l’espace éducatif en une partie à l’intérieur et une partie à l’extérieur de l’Université et la seconde a partagé le temps éducatif en un enseignement en arabe avant le bac et en français après !
La généralisation de l’enseignement, garante d’une justice sociale, n’est toujours pas complète. Le plan établi pour sa réalisation, par le gouvernement A. Ibrahim, cédera la place à la  »doctrine Benhima » limitant le flux des élèves dès le primaire. Ce n’est qu’en 1998, que la généralisation redevient une priorité gouvernementale et qui sera d’ailleurs atteinte dans le cas du primaire!
Bien que la généralisation soit relative dans le supérieur, les 13% de 2009 sont en deçà des standards internationaux ou régionaux. Selon M. Trow, sociologue de l’éducation, le développement de l’enseignement supérieur passe par trois phases. Dans la première, l’enseignement supérieur est élitiste avec un taux inférieur à 15 %. Dans la deuxième, avec un taux compris entre15 et 50 %, il se démocratise, tandis que dans la troisième, dépassant les 50 %, il se généralise et devient universel. L’enseignement supérieur ne s’est toujours ni démocratisé ni généralisé, il est encore élitiste!
L’unification de l’enseignement avait pour but de construire l’école unique capable  »d’offrir à tous les enfants les conditions nécessaires à leur éveil et à leur épanouissement » afin de leur garantir  »l’égalité des chances de réussite dans leur vie ». Aujourd’hui, le Maroc n’a toujours pas une école, mais plusieurs : la mission française, les établissements privés et l’enseignement public. A l’exception donc de la marocanisation, aucun des objectifs fixés en 1957 n’a été atteint.
Pour l’enseignement supérieur un système dual fut adopté dès les années 60. Il comprend les établissements de formation des cadres (Institut agronomique en 1963, Ecole forestière en 1970, ISCAE, INPT, Ecole Hassania en 1971,…) et les établissements universitaires. Les premiers, professionnels, sont à accès limités, avec plus de moyens et sans possibilité de faire de la recherche, tandis que les seconds, académiques, sont à accès ouvert, avec moins de moyens et avec possibilité de faire la recherche. Cette dualité va déconnecter les formations professionnelles de la recherche scientifique, et l’Université des formations professionnelles. Cette déconnexion va longtemps priver une grande partie des enseignants-chercheurs des établissements de formation des cadres de contribuer à la production scientifique et de progresser dans leurs carrière. Ce qui va conduire le Maroc à  »exporter », ou plutôt à offrir, un savoir fondamental qu’il ne peut utiliser et à importer un savoir technique qu’il ne peut produire. Avec le temps, la recherche scientifique sera taxée de luxe, qui finira par convaincre de son inutilité. De l’inutilité de la recherche à l’inutilité de l’Université il n’y a qu’un pas qui sera franchi après le désengagement de l’État dû à l’ajustement structurel des années 80, qui va précipiter la rupture de l’équilibre fragile du marché du travail des diplômés. La diversification de l’offre universitaire (FST, EST…) qui va suivre cette crise va garder la même logique duale, dans le mode d’accès (régulé ou ouvert) et dans la nature des cursus (professionnel ou fondamental).
En plus du dualisme originel, le Maroc va ajouter une troisième dimension à la fragilisation de l’Université publique en créant Al Akhawayn. Les pouvoirs publics vont forcer en 1993, l’introduction d’une troisième voie  »privée » qui n’a pas pu émerger du marché comme pour le primaire ou le secondaire! Avec l’arrivée de cette Université publique, payante et à accès régulée, l’enseignement supérieur cessa d’être dual. Aujourd’hui, le gouvernement récidive en forçant l’introduction en masse d’universités payantes, étrangères cette fois, dans le paysage éducatif post-baccalauréat !
Quand les pouvoirs publics décrètent de confier la formation des élites aux grandes écoles et aux Universités étrangères, ils ne peuvent se soucier de réformer, restructurer ou renforcer l’Université. Ils tendent tout naturellement à s’en désintéresser. La question est donc: pourquoi l’Etat s’acharne-t-il à maintenir son Université structurellement faible pratiquement depuis sa création ?

La marginalisation de l’Université et le processus  »technocratique » 

C’est en France qu’une  »succession de choix, plus politiques que pédagogiques, » va instaurer ce dualisme à la fin du dix-huitième siècle. La demande en cadres techniques de la révolution industrielle va conduire à la création d’écoles spéciales pour pallier les lacunes d’une Université engourdie dans la scholastique sous l’influence de l’église. Contrairement à la France où cette solution va durer, l’Allemagne, sous l’impulsion de Humboldt, va réformer son Université pour s’adapter à la nouvelle donne. Dans cette réforme qui rompt avec le système médiéval sans adopter le côté strictement utilitariste des écoles, enseignement et recherche sont liés et les formations fondamentales et professionnelles ne sont pas séparées. Cette réforme va servir de modèle à tous les pays anglo-saxons.
L’influence de l’ancienne puissance coloniale n’explique cependant pas tant de zèle pour marginaliser l’Université marocaine, d’autres facteurs politiques ont été plus déterminants. En effet, l’Etat dès le début, s’est méfié d’une Université trop contestataire. Avec les syndicats étudiant (UNEM) et enseignant (SNESup) progressistes, l’Université allait vibrer au diapason de la contestation de gauche. L’Université formait alors des élites scientifiques mais aussi politiques. Ainsi, à ses débuts, l’Université en plus du rôle d’ascenseur social, a contribué à la lutte pour la modernisation du pays et la démocratisation de l’Etat, ce qui lui vaut l’inimitié du camp conservateur. Contrairement à la France où les gouvernements progressistes se sont méfiés d’une Université conservatrice, au Maroc, ce sont les gouvernements conservateurs qui se sont méfiés d’une Université progressiste ! Leurs premières réactions furent brutales (emprisonnement, interdiction, …). Après les années  »de plomb », un processus démocratique, prévoyant des élections, fut négocié. Mais à une classe politique, issue du mouvement national formée dans l’Université, le Makhzen va préférer les notables et les technocrates.
Ainsi, le ministère de l’Intérieur va régulièrement  »élire » des notables dans les assemblées représentatives pour donner une majorité à des organes exécutifs formés de technocrates. Issues des  »grandes » familles, ces derniers ont pour mission de développer une idéologie de collaboration et non d’opposition.  »Ils passent successivement par les grands corps de l’Etat, la haute Fonction publique, à la tête des banques, des grandes sociétés industrielles, commerciales, agricoles et de services publics ». Et c’est le diplôme des grandes écoles, garanti par l’Etat, qui assure le passage d’un poste à un autre. L’enseignement supérieur va donc être réaménagé pour former une élite technocratique dépolitisée à partir des années 70, la veille du  »processus démocratique » ! Tous les moyens vont être déployés pour y arriver: déconnexion de la formation des cadres de l’Université, introduction d’un régime militaire à l’Ecole Mohammedia et création des classes préparatoires. Ces dernières constituent le parcours idéal pour remplir la nouvelle mission de l’enseignement supérieur. En effet, la compétition à outrance, la focalisation sur des matières trop spécialisées et une infantilisation due au parcage dans des lycées conduisent à un appauvrissement des sensibilités des apprenants. L’inégalité devant l’accès fait de cette filière une véritable machine de reproduction des élites, qui sacrifie le succès du plus grand nombre sur l’autel de la réussite d’une minorité.
Avec la création d’Al Akhawayn, clin d’œil aux notables, dont les enfants n’ont pas pu entrer dans les établissements trop sélectifs, l’enseignement supérieur devient à trois vitesses. Payant pour les plus aisés, sélectif pour les enfants, bien encadrés, de la classe moyenne et gratuit non sélectif et fondamental, pour les plus défavorisés ! L’enseignement cesse alors d’être un ascenseur social pour devenir une machine de reproduction des inégalités.
A la fin des années 90, l’unanimité sur un constat d’échec du système éducatif a conduit à une série d’initiatives visant à le réformer. Cette aubaine aurait pu être saisie, pour initier une réforme d’envergure et rendre à l’Université sa mission naturelle de formations des élites.

La restructuration de l’Université et l’alternance consensuelle 

La première commission nationale d’éducation insiste, en 1995, sur l’obligation de la scolarisation jusqu’à 16 ans et la nécessité de préserver la gratuité.
Il lui sera reproché de ne pas s’être suffisamment penchée sur l’adéquation formation-emploi. Une autre commission, la COSEF dirigée par un technocrate, va lui succéder en 1999 et adoptera une Charte nationale pour l’éducation et la formation. La réforme est enclenchée par la promulgation des lois sur l’enseignement supérieur (01-00), l’obligation scolaire (04-00), l’enseignement préscolaire (05-00), les académies régionales (07-00) …
En consacrant l’autonomie de l’Université, la loi va lui permettre d’avoir sa propre politique. Avec des filières régulièrement accréditées, les formations figées jusqu’alors, deviennent adaptables au contexte socioéconomique. Le renoncement à l’unification du supérieur fut la principale faiblesse de cette loi. L’autre faiblesse fut d’ériger l’Université en établissement public alors que la législation marocaine ne distingue pas le caractère scientifique et technique des établissements académiques.

La réorientation des réformes et le retour à la technocratie (2002)

En 2002, un gouvernement dirigé par un technocrate va fermer la parenthèse de l’alternance consensuelle, censée aboutir à la démocratie. Sous ce gouvernement, la réforme de l’éducation va prendre du retard, de l’avis même de la COSEF, surtout dans  »la généralisation du préscolaire et de l’enseignement de base ». L’architecture pédagogique initiale de l’enseignement supérieur sera remplacée par le système LMD et  »l’idée d’œuvrer pour une intégration régionale des établissements de formation de cadres pédagogiques dans l’Université » ne sera pas réalisée. L’abandon de cette idée  »fondamentale pour réaliser des recherches pédagogiques et mettre en œuvre des programmes adaptés aux besoins régionaux » aura des répercussions négatives sur tout le système éducatif. Cette connexion de ces établissements à l’Université aurait pu amorcer le processus d’unification. Mais le gouvernement choisira le morcellement et décrète de cloisonner l’Université en établissements académiques à accès ouverts, en établissements professionnels à accès limités et en instituts de recherches sans étudiants ! Ajoutant au passage une quatrième dimension : les facultés polydisciplinaires, établissements à accès ouverts mais s’arrêtant à bac +2! Comme pour la formation de cadres, cette déconnexion des polydisciplinaires et des EST de la recherche, va priver le pays du talent de jeunes enseignants-chercheurs et les empêcher de progresser dans leurs carrières.

La marche arrière… (2007) ! 

Avec le temps, les limites de la réforme commencent à apparaître. Une évaluation objective s’imposait pour d’éventuels réajustements. L’unification de l’enseignement supérieur et l’introduction de la spécificité académique dans le statut d’établissements publics particuliers que sont les Universités, auraient pu contribuer à ces réajustements. C’est finalement un plan insipide dit  »d’urgence » qui tentera de  »réformer » la réforme ! D’importantes sommes d’argent vont atterrir à l’Université trop longtemps affamée. Incapable de les dépenser judicieusement à cause de l’inertie bureaucratique et du contrôle a priori, l’Université peinait à remplir ses engagements. Privée des formations professionnelles avec, un sureffectif d’étudiants démotivés, une législation inadaptée, et un personnel mal préparé, l’Université n’était pas prête à la contractualisation. Celle-ci ne fut qu’une façon d’externaliser l’échec des politiques publiques et les décisions impopulaires à l’Université. Le Plan d’urgence fut un échec total avec en prime une vaste dilapidation des deniers publics !
Cependant, ce gouvernement va réaliser l’intégration des établissements pédagogiques de formation de cadres, mais à sa façon, en créant les Centres régionaux des métiers de l’enseignement… Ces nouveaux établissements qui relèvent des académies régionales, incluent les prérogatives des ENS ! L’histoire de la première ENS convertie en faculté des sciences de l’éducation en 1983 est alors répétée !

La marchandisation de l’Université et le Printemps arabe

La persistance du sous-développement, l’institutionnalisation de l’autoritarisme et de l’économie de rente, vont conduire aux révoltes du monde arabe. Au Maroc, après le Mouvement du 20 février, une nouvelle Constitution et des élections anticipées vont conduire une coalition conservatrice au gouvernement. A l’instar de la lutte pour l’indépendance, le  »Printemps arabe » qui fait miroiter développement, démocratie et justice sociale, va susciter un grand espoir. Comme hier, l’espoir va céder la place à la déception. Comme hier, le discours nationaliste ou panarabe avait permis d’avaler la pilule autoritaire et rentière, le discours islamiste permet de faire avaler la dragée néolibérale. La chute des dictatures mafieuses censée libérer les initiatives et permettre  »d’assurer un développement plus égalitaire » céda la place à un automne néolibéral en Tunisie, en Egypte et au Maroc.
La politique néolibérale du plan 2013-2016 pour l’enseignement supérieur, est renforcée par la reconsidération de la gratuité et l’implantation de campus délocalisés ! Cette introduction forcée d’un enseignement supérieur étranger, qui renonce à la marocanisation, seul principe réalisé depuis l’indépendance, ne peut que donner le coup de grâce à une Université fragilisée par le dualisme.

Politique néolibérale
Bien avant Reagan et Thatcher, Pinochet fut le premier à tester le néolibéralisme. Après le coup d’Etat, contre le président démocratiquement élu Allende, la junte militaire conseillée par les Chicago boys va appliquer la doctrine de Friedman. Elle va réformer la législation du travail, faire des coupes dans les budgets sociaux, réformer la retraite et privatiser l’éducation ! Celle-ci devient un bien que les familles peuvent acheter, ce qui les conduit pendant des années à dépenser la quasi-totalité de leurs revenus pour éduquer leurs enfants. Ils vont se rendre compte, plus tard, que les collèges privés ne garantissaient pas l’accès à l’Université, que les diplômes universitaires étaient dévalorisés et que l’obtention d’un bon emploi n’assurait pas un bon salaire. Les Chiliens vont comprendre que ce qu’on leur présentait comme une vérité n’était qu’un mythe, ce qui les conduit à une mobilisation depuis mai 2011  »pour demander le retour à une éducation gratuite ». Après le Chili, le néolibéralisme va être appliqué aux Etats-Unis de Reagan et en Grande-Bretagne de Thatcher. La chute du mur de Berlin et la fin de l’histoire de Fukuyama vont pousser d’autres pays à suivre cette voie. Ce néolibéralisme incita l’Université à transformer le savoir en marchandise menaçant son rôle fondamental qui est de développer et partager un savoir critique et de démocratiser son accès.

Marchandisation du savoir 
Après la crise économique des années 70, le sous-financement des Universités, de certains pays développés, les pousse à recruter des étudiants étrangers payant des frais de scolarité élevés. Après cette étape, elles passent des accords de franchise avec des établissements étrangers. Ensuite, ce fut la délocalisation de formations par joint-venture et enfin l’implantation d’un campus à l’étranger, soit la même logique d’internationalisation d’une entreprise ordinaire. Ainsi cette marchandisation du savoir est plus le fruit des contraintes financières dues à la remise en cause de l’Etat-providence que des préoccupations académiques.

L’hiver universitaire 
La remise en question de l’enseignement, attendue après le  »Printemps arabe », cédera la place à la continuité du programme d’urgence. Dans un souci plus mercantile qu’intellectuel, le gouvernement choisira de renforcer le désengagement de l’Etat. S’appropriant cette conception néolibérale, les nouveaux responsables contribuent à la macdonalisation de l’enseignement supérieur souhaité par un capitalisme mondial, résolument athée, adoptant les vertus du marché comme unique religion.
Pourtant, le savoir est par nature un bien public qui ne peut être considéré comme une marchandise et sa logique de fonctionnement est incompatible avec celle du marché. Sa production repose sur l’accumulation historique, maintenue dans le domaine public. Sa privatisation va empêcher sa diffusion, supprimant ainsi les conditions de sa reproduction, menaçant le développement du pays. Sans offrir une garantie de continuité, la concurrence par ces établissements, ayant une longue expérience de marketing, est une menace réelle pour la survie même du système universitaire national. L’indépendance intellectuelle, longtemps sauvegardée par une distance entre l’Université et le marché, risque de faire les frais de ces implantations. En effet, la poursuite du gain oblige ces établissements à but lucratif, à s’adapter aux mœurs de leur clientèle, pouvant les conduire à donner du crédit à des théories peu fiables, pour satisfaire une forte demande. La recherche d’économies pourrait conduire à une standardisation préjudiciable aux formations. Davantage concentré sur l’enseignement, ce type d’Université, supprimera la recherche, ou la limitera aux activités non innovatrices moins risquées. La régulation marchande peut menacer la diversité des formations en limitant l’offre aux disciplines les plus demandées. Enfin, le grand problème reste la remise en question de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur qui sera déterminé par la richesse.
Après une lente marginalisation due aux calculs politiciens, l’Université est à nouveau menacée par une rapide liquidation dictée cette fois, par les nouveaux choix économiques.

Conclusion : le printemps de l’Université aura-t-il lieu ? 

Face à ce démantèlement méthodique de l’Université, personne n’a le droit de se taire. Accepter la sous-traitance de la formation des élites par des  »universités-entreprises » étrangères, c’est s’éloigner de l’idéal de l’indépendance. Tolérer une technocratisation des élites, c’est s’éloigner de la construction d’une démocratie. Ne pas poser le problème d’une Université publique rassemblant tous les savoirs et toutes les compétences, c’est s’éloigner de l’idéal de justice sociale. Il s’agit d’une question de choix de société, qui nécessite la mobilisation des universitaires et de l’ensemble des citoyens afin de rebâtir l’Université nationale, pour développer le pays, démocratiser l’Etat et instaurer une justice sociale.
Le morcellement actuel est source d’inégalités de moyens, de niveaux et de diplômes. Finalement, d’inégalités devant l’avenir pour des milliers d’étudiants qui n’auront pas le bon diplôme, parce qu’ils n’ont pas la bonne adresse familiale. Il est temps de stopper cette course vers un élitisme néfaste et revenir au principe essentiel de l’égalité devant l’accès au savoir et aux métiers. Seul le regroupement de tous les établissements de formation post baccalauréat à l’intérieur d’une Université publique peut à la fois donner aux citoyens plus d’égalité de chances et permettre au pays de transformer une réussite quantitative en réussite qualitative. Cette réforme ne viserait pas à mettre en place un dispositif homogène, mais à rapprocher ces différents cursus, dans l’esprit général d’une  »propédeutique ». Une fois l’unification engagée, il faut s’attaquer au chantier de l’autonomie.
Cette dernière nécessite une révision préalable de la législation des établissements publics pour y introduire la spécificité académique. L’autonomie, qui doit garantir une indépendance en matière de production et de transmission des savoirs, loin d’une mainmise idéologique ou politique, de l’Etat ou du marché, passe par un financement qui doit rester essentiellement public.

* Professeur à l’Université
Mohamed V-Agdal
Membre du bureau national du Syndicat national de l’enseignement supérieur

Source: Libération, 25 septembre 2012

Ajouter un commentaire

Cliquez ici pour poster un commentaire

Chaîne WhatsApp Supmaroc

Suivez-nous sur les réseaux sociaux

Rejoignez-nous sur les réseaux sociaux et soyez les premiers à connaître toute l'actualité du supmaroc.com

error: contenu protégé